Confessions d'une enfant

[Quelques jours à peine après l'affaire qui secoua l'Epine en l' "absence" de ses Seigneurs.]

Clémence, peu après l'intrusion de l'abject criminel dans l'enceinte du château, avait envoyé une missive à un curé dont on lui avait déjà parlé auparavant. En l'absence du chapelain de l'Epine, au vu de la mort de Pharaon autrefois curé de Reims et du trépas, également, de celui qui l'avait baptisée, Monseigneur Olaf, la demoiselle se trouvait bien démunie en hommes d'Eglise. Elle ne connaissait pas personnellement ce Père François mais il restait son unique chance de Salut.

Ainsi, donc, il lui avait répondu favorablement et elle l'avait tout naturellement invité à la Motte. Elle aurait pu se trouver méfiante d'accueillir ainsi un parfait inconnu, après les évènements récents qui s'étaient déroulés ici même, mais elle avait confiance en l'Eglise et en ses membres et il ne lui venait pas à l'idée qu'un curé puisse la duper.

La demoiselle avait été prévenue : le Père François était aveugle. Elle en éprouva quelque soulagement : ainsi, il ne pourrait observer la marque rose qui filait de la base de son cou jusqu'à son menton. Elle ressentait toujours de la honte lorsqu'un regard s'attardait sur la cicatrice boursoufflée. Quel gâchis...

Agenouillée sur un prie-dieu de la minuscule chapelle, le regard tourné vers l'autel vide où scintillaient néanmoins quelques cierges, Clémence attendait l'arrivée du Père François.

L'affaire semblait bien pressante, et le vieil homme, malgré la fatigue du voyage, ne prit aucun repos et dirigea ses pas et son bâton vers la chapelle Sainte-Gudulle. Le scribe poussa la lourde porte du petit édifice et laissa le père entrer seul dans la petite église.
L'air frais qui régnait dans les bâtiments consacrés au Très-Haut le surprenait toujours. Comme si le doux regard divin savait préserver les atmosphères propices au recueillement.

Il fit quelques pas dans la nef, mais ne connaissant pas les lieux et ne sachant, dans le silence du lieu, si quelqu'un y demeurait, il s'assit dans un grincement sur un siège qui bordait l'unique allée.

Le grincement facilement identifiable de la porte résonna dans le silence protecteur de la chapelle. Clémence termina rapidement sa prière, se leva et jeta un regard reconnaissant vers le Ciel.

Se retournant, elle remarqua un vieil homme qui doucement se laissa choir sur un banc. D'un pas mesuré, malgré l'écho sourd qui lui battait les tempes, elle le rejoignit et, se portant à ses côtés, se présenta dans un murmure :

Je suppose que vous êtes celui que j'attendais. Je suis Clémence, mon Père, et je vous remercie d'être venu jusqu'ici.

Elle observa avec inquiétude les marques de fatigue qui lui creusaient le visage.

J'espère que la route n'a pas été trop difficile, il ne faut pas que vous vous trouviez mal par ma faute.

Elle n'osa pas ajouter qu'elle avait déjà été à l'origine de beaucoup trop de souffrances : cet aveu viendrait bien assez tôt.

Des petits pas légers s'étaient dirigés vers lui, et dans un souffle la jeune fille s'était adressé à lui. A peine avait-il eu de se le ver pour la saluer que cette dernière s'inquiétait de son sort.

Merci ma fille, je n'apprécie guère les longs voyages et les routes toujours plus cabossées, mais votre chapelle sera un parfait endroit pour que je prenne quelques repos en attendant la nuit. La fatigue du corps n'est pas aussi difficile à vaincre que celle de l'esprit. Et le Très-Haut en soit loué, je vais très bien de ce coté-là!

A l'aide de son bâton, le vieil homme se dirigea vers l'autel conter lequel il buta légèrement. Tout en continuant de s'adresser à la maitresse des lieux, il sortit de sa besace de l'encens qu'il alluma à l'aide d'un candélabre qu'il saisit à tâtons et le laissa se consommer à même la pierre nue de l'autel.
Il revint vers Clémence :

Ma fille, je sens que le poids de votre souffrance ne s'est pas dissipé depuis que j'ai reçu votre courrier.

Les volutes d'encens s'élevait sous les voûtes et les parfums orientaux envahissait l'atmosphère.

Installons-nous quelque part, là où vous avez besoin l'habitude de vous recueillir. Vu ma condition, nous n'avons guère besoin de nous emmurer pour que je vous écoute, car c'est bien pour cela que vous attendiez ma venue ?

Clémence eut un geste de dénégation à la remarque du Père François et, se souvenant qu'il ne pouvait le voir, elle l'exprima par la parole.

Non, je dors mal, et ma faute me poursuit même le jour. En attendant votre arrivée, croyez bien que j'ai occupé mon temps à prier mais il est maintenant temps que vous entendiez vous même ma confession et que j'entre à nouveau, si c'est possible, dans les bonnes grâces du Très-Haut.

Elle le dirigea jusqu'aux prie-Dieu disposés devant l'autel et s'installant, elle commença sa confession.

J'ai pêché : j'ai cédé à la curiosité jusqu'à l'imprudence et cela a causé la mort. Par ma faute, quelqu'un a rejoint le Très-Haut trop tôt. J'ai désobéi à mes parents, ou plutôt je ne leur ai parlé de rien et j'ai cru bon décider toute seule de ce que j'avais à faire.

La demoiselle prit une inspiration.

J'ai jeté la honte sur ce château. Et bien que personne ne soit sans doute encore informé, j'imagine que bientôt des rumeurs vont circuler sur la bêtise de la fille de l'Epine, sur son inconsidération qui a mené un innocent à la mort, sur l'orgueil dont elle a fait preuve, et que sais-je encore.

Ses mains tremblaient et sa voix manquait de se briser à la fin de chacune de ses phrases.

Je ne voue mon existence qu'à satisfaire mes parents et paraître irréprochable. Mais apparemment, je n'y arrive pas totalement. J'ai été humiliée, mais en y réfléchissant, ça ne serait pas arrivé si j'avais écouté la voix de la raison et que j'avais tenu éloigné cet individu de la Motte. De cette humiliation et de la culpabilité que j'ai ressenti est née une rage féroce. J'ai... j'ai porté la main... j'ai ressenti à nouveau la force du Léviathan m'habiter et j'y ai succombé : j'ai frappé d'une dague et plusieurs fois celui qui venait de jeter l'opprobe sur ma personne. Lui n'est pas mort, et pourtant j'ai souhaité qu'il le soit et j'avoue que je le souhaite encore. Mais par sa faute et la mienne un homme et mort. Mon coeur réclame vengeance, sans doute ne le devrait-il pas, mais je n'arrive pas à me défaire de cette idée. C'est un désastre...je ne me reconnais plus.

Eperdue, elle lança un regard chargé de doutes sur l'homme d'Eglise à ses côtés. Qu'allait-il bien penser d'elle ?