Venue attendue du jeune Ried !

L'Alençon, la Champagne, ce n'était pas tout à fait la porte à côté, mais Amaël était parti il y avait maintenant plusieurs jours avec son escorte et Arnaut de Longwy, son fidèle ami et écuyer. La première étape avait été de rallié Paris. Amaël était alors resté quelques jours en sa demeure parisienne, l'Hôtel Ried, avait été au Palais des Offices accomplir son devoir auprès du Grand Chambellan de France. Puis la troupe était repartie vers la Champagne et en particulier les terres de L'Epine. Le printemps de retour, bien que le temps soit parfois un peu humide, il était beaucoup plus agréable de voyager. Les désagréments de l'hiver se faisaient à présent oublier.
Enfin, le château de L'Epine fut rallier. Arrivant à proximité, et une fois les sentinelles du château à portée de voix, Arnaut s'avança au devant pour annoncer son jeune maître.

Messire Amaël du Ried vient rendre visite à Mademoiselle Clémence de L'Epine !

La visite était attendue, les choses devraient donc se faire assez rapidement et bientôt Amaël retrouverait Clémence, non-revue depuis le mariage impériale de leur amie commune, Béatrice de Castelmaure.

Regard inquisiteur. Suspicieux. Mais bon... comme faut rester poli avec les visiteurs, même si on se demande qui c'est et ce qu'il vient faire là, vaut mieux laisser de côté ce genre de regard.

Quand même. ça fait trop de monde en peu de temps. Hier, la d'moiselle de morve-truc qui vient demander à voir sa cousine et que pourtant, le Rob', ben il l'avait jamais vue alors il se demande si y'en a encore beaucoup comme ça, des cousines qu'on lui aurait cachées... C'est pas l'tout, mais si on lui demande de garder le château, faudrait lui dire lesquels sont les bienvenus et lesquels on connait pas et que donc faut être un peu plus méfiant avec !

Faudrait qu'il ait un mot avec la Demoiselle de l'Epine. D'accord, sa mère était morte et tout ça, mais bon derrière, il restait tout de même un domaine à gérer ! Et quant à le gérer, autant bien le faire, sinon ben, valait mieux qu'elle aille voir ailleurs s'il y était, le Rob'!

Bon. Il pensait trop. Ou du moins, il essayait de penser, comme lui dirait son frère. Enfin, si c'était un frère, pour oser parler de lui comme il le faisait parfois...

Et donc, c'était qui encore, c'nobliaud ? Du Ried, du Ried... Non franchement, si la d'moiselle lui en avait parlé, il s'en serait souvenu ! Quand même, il avait bonne mémoire, c'était au moins ça, non ? Et la mémoire, c'est important quand on est garde. Alors, il lâcha un soupir. Un petit. Pour pas qu'on aille rapporter que le garde était malpoli avec les hôtes. Il jaugea rapidement les deux hommes et les jugea de bonne foi. Il avait plus de doutes sur le reste de l'escorte... autant d'hommes armés aussi près d'un château, ça ne laissait jamais un garde de marbre. Alors il les garderas tous à l'œil, tout de même. Sait-on jamais...

Avancez dans la cour, on va s'occuper de vos chevaux...

Puis il maugréa quelque chose d'incompréhensible. Encore.

Elle avait intercepté l'intendant alors qu'il se dirigeait vers l'entrée du donjon. Accompagnée d'Isaure -puisque Clémence lui avait proposé de passer à ses côtés les derniers jours qui restaient avant la cérémonie de funérailles, elles avaient toutes deux décidé d'un commun accord de sortir un moment, de faire le tour du domaine, de profiter des premiers rayons printaniers. Et donc, Baudouin lui avait appris qu'une arrivée venait d'être annoncée. Un jeune noble, accompagnée d'une solide escorte.

J'avais oublié de vous dire que nous attendions de la visite. Un jeune homme, avec qui j'ai fait connaissance il y a peu, à Aix la Chapelle. Un garçon bien agréable, ma foi, envers qui j'ai naturellement commencé à tisser l'ébauche d'une nouvelle amitié. Les amitiés sont précieuses. glissa-t-elle finalement en aparté à sa jeune cousine, un petit sourire au coin des lèvres. Il n'est guère plus âgé que vous et guère moins que moi. Je suppose que c'est lui qui arrive maintenant.

Et alors qu'elles se dirigeaient vers la cour, où Amaël devait être en train de laisser son cheval aux palefreniers et où sa garde devait être en train de se disperser pour au choix, se rassasier ou se désaltérer, Clémence coula un regard pensif en direction d'Isaure. Elle grandissait, elle mûrissait -ou du moins la demoiselle l'espérait, il serait temps, bientôt, d'envisager un mariage. La demoiselle de Morvilliers songeait-elle parfois à cette affaire ? Quel était son regard sur les hommes ? Peut-être que de la voir face à Amaël, un parfait inconnu, plaisant, courtois, éduqué et agréable en un mot, pourrait lui en apprendre davantage sur sa cadette. Le mariage n'était qu'une étape, en général : on le préparait avec soin, on veillait à forger de belles alliances dans lesquelles on privilégiait parfois -trop souvent ?- le prestige à l'amitié. Les nobles damoiselles comme les moins nobles, quelques fois, se savaient vouées à une union sur laquelle elles n'auraient que peu de mots à dire. Et Isaure ? Elle était de bonne famille, et Clémence espérait en son for intérieur que son parrain avait déjà une idée de l'élu. De toute façon, il n'était pas question qu'elle épouse le premier venu. Et même si Clémence ne pouvait qu'avoir une influence quasi nulle sur l'avenir de sa cousine, et que celle-ci était une forte tête sur qui on n'avait pas ou peu d'autorité, il allait de soit, pour elle, qu'elle garderait un œil sur son devenir.

Elles parvinrent à la hauteur d'Amaël et Clémence réussit à lui offrir un sourire chaleureux. Elle essayait de ne pas en être avare : il n'était pas question qu'on puisse la voir en proie à la détresse qu'elle ressentait, face à cette masse de responsabilités dont elle se voyait échue en ce moment. Il était tout aussi hors de question que l'on devine son chagrin, même si bien entendu, il était difficile, en ces lieux chargés de souvenirs, de parvenir toujours à contenir ses émotions. Mais celles-ci ne s'exprimaient jamais plus que par un léger tressaillement des cils ,ou une absence momentanée.

Amaël ! J'espère que vous avez fait bonne route et que vous n'êtes pas trop fourbu ! Avez-vous fait escale quelque part, au moins ? Et tandis qu'elle prononçait ces quelques mots badins, elle lui tendit sa main délicatement blanche.

Amaël, je vous présente Isaure Beaumont-Wagner, dame de Morvilliers, ma charmante cousine. présenta-t-elle en insistant volontairement sur l'adjectif. Un avertissement pour elle : maintenant que c'était dit, elle ne pourrait y déroger. Isaure est la fille de feu mon oncle Kurt Wagner, Duc de Brienne, qui était lui-même le demi frère de ma regrettée mère. Ils étaient tous deux les enfants de Bianca de Sicile, notre grand-mère à toutes deux, donc.

Un léger sourire flotta un instant sur ses lèvres. Elle était toujours heureuse, de parler de ses origines, et cela lui faisait plaisir, de présenter Isaure comme un membre de sa famille.

Isaure, voici Amaël du Ried, fils héritier du Duc de Trun. Il nous vient d'Alençon.

Le protocole des présentations avait été appliqué, ne restait maintenant plus qu'aux deux jeunes gens de se jauger discrètement et de se faire une vague idée de ce que l'autre était ou laissait paraître.

Comme tout homme d'armes gardant l'entrée d'un château, celui là n'était pas très aimable, malgré les nobles visiteurs, ronchonnait, bougonnait, bref, il ne dérogeait pas à la règle, au contraire, il était bien bourru comme il fallait. Il ne faut pas le cacher, c'était aussi pour ça qu'ils étaient choisis, souvent cela décourageait les indésirables. Amaël se contenta donc d'avancer alors qu'Arnaut faisait un signe de tête au garde et que l'escorte du p'tit duc d'Alençon lui emboîtait le pas pour pénétrer dans l'enceinte de la demeure de la famille de L'Epine.
Ralentissant encore plus le pas Amaël observa un instant le château, la cour d'honneur et les alentours. C'était là une très belle bâtisse, digne du marquis de Nemours et sa famille, se résumant à sa fille, à présent ... Alors que plusieurs palefreniers approchaient pour prendre en charge les montures des visiteurs Amaël vit arriver au loin la, presque, maîtresse des lieux, visiblement accompagnée. Le temps qu'il mette pied à terre et s'avance un peu elle l'avait rejoint. Le sourire qu'elle lui offrit le toucha, surtout sachant l'épreuve qu'elle vivait en ce moment. Il lui rendit un sourire tout aussi chaleureux et amical et s'approchant pris ses mains dans les siennes avant de les baiser. Cela aurait pu paraître inconvenant, mais ce n'était qu'une marque d'amitié du jeune Ried à la jeune héritière devenue une proche.

Chère Clémence, je suis ravi de vous revoir. Encore toutes mes condoléances. Je vous remercie de vous soucier de mon voyage, il s'est fort bien déroulé. Et oui, bien, sûr, nous avons fait plusieurs haltes, je serais arrivé sur un brancard sinon !

Amaël était une personne taciturne, mais il venait pour soutenir Clémence, il sortirait donc de sa réserve habituelle pour remonter le morale de son amie au mieux. Pendant son séjour à L'Epine il essayerait d'être le chantre de la plaisanterie pour changer les idées de Clémence. Alors qu'elle présentait sa cousine, une jeune femme de leurs âges apparemment, il se tourna vers elle et fit la révérence d'usage.

Mademoiselle, je suis enchanté de rencontrer la charmante cousine de la non moins charmante Clémence.

Adressant un sourire amusé à l'héritière de Nemours il montra alors de la main le château.

Votre château familial est très beau, Clémence, et en ayant traversé en partie les terres de L'Epine, je me dis que la vie doit être bien agréable en Champagne.

Isaure était réveillée depuis l’aube, elle s’était levée à l’aurore et une fois le soleil bien en place dans le ciel dégagé, elle s’avançait dans le couloir. Elle ne tarda pas à rejoindre sa cousine et ensemble, elles décidèrent que le temps se prêtait à une visite du domaine. Une belle journée s’annonçait sur ces terres endeuillées et la jeune Morvilliers profitait de chaque instant passé avec sa cousine.

Quand elle vit Beaudoin s’avancer vers elles, la jeune fille ne put retenir un sourire. Décidément ce bonhomme lui plaisait bien, mais son sourire s’éteignit aussi vite qu’il était apparu. L’annonce de cette nouvelle arrivée ne lui plaisait guère. Leur tête à tête familial prenait fin à cet instant pour la plus grande déception de la jeune fille. Cette autre personne, quelle qu’elle soit, allait s’interposer entre elles et Isaure serait comme toujours écartée, ignorée.

Mettant un instant la menace de côté, la fille Wagner s’intéressa au jeune homme. Ses yeux perçants détaillèrent le jeune héritier. Voilà un homme aux portes de qui une foule de prétendant frapperait. Mais ce qui fit sourire la fillette, ce fut la présentation que Clémence fit d’elle, plus précisément le moment où elle parla de leurs liens familiaux. Le visage isaurien s’éclaira et le port de tête se fit plus haut. Peut-être s’était-elle trompée. Peut-être que leur sang commun rendait Isaure inéliminable. Cette révélation poussa la demoiselle à se montrer moins froide envers le nouvel arrivé. Son regard froid et sévère se fit plus chaleureux mais une certaine réserve et méfiance demeuraient. Ainsi qu’une étincelle d’arrogance ! Et quand Clémence lui présenta l’inconnu, la jeune fille lui accorda un sourire et une révérence gracieuse.

Enchantée Vostre future Grâce !

Baudouin avait suivi les deux jeunes femmes, deux ou trois pas en arrière. Il avait surpris le sourire de la cousine et s'en était longuement interrogé. Tout le temps que durèrent les salutations et autres présentations, en fait. Qu'est-ce que c'était ? Une raillerie ? Un signe d'appréciation, de sympathie ? Baudouin n'était pas très à l'aise avec les femmes, il ne savait pas vraiment comme les appréhender, elles lui semblaient bien trop... non pas compliquées... mais comme si elles avaient leur propre langage et que celui-ci n'était déchiffrable que par de chanceux initiés.

Soupir. Intérieur. Il gardait les yeux rivés sur le dos fin de la jeune Isaure. Quel âge pouvait-elle avoir ? Elle paraissait jeune, mais la demoiselle de l'Epine aussi et pourtant, elle venait de passer ses seize printemps. Baudouin, lui, s'en comptait pas loin de dix-neuf. Et que devait-il lui dire, alors, quand elle le regardait comme elle le faisait dès qu'elle le croisait ? Lui rendre son sourire -il ne savait trop comment, car son sourire était inimitable et Baudouin ne serait parvenu qu'à esquisser une vague grimace dérisoire-, rester de marbre, lui adresser un mot aimable ?

Il devrait demander quelques conseils à ce jeune homme, beau et noble : que pouvaient lui refuser les dames ? Il parlait bien, il savait faire des compliments, et l'intendant sentit que même la réserve de Clémence semblait fondre un peu en sa présence. Peut-être détenait-il quelques codes, lui, pour réussir à mieux comprendre ces êtres si différents...

Baudouin profita de l'intermède qu'Isaure provoqua par sa révérence pour s'immiscer dans la conversation... habilement, prudemment.

Peut-être que ce jeune Messire souhaiterait se reposer un peu, manger ou boire quelque chose ? demanda-t-il d'un ton délicat.

Il glissa un regard interrogatif, sourcils froncés, vers le jeune homme, puis vers Clémence. Il savait qu'elle avait compté profiter du temps ensoleillé pour s'évader un peu avec sa cousine -à qui il adressa d'ailleurs un coup d'oeil hésitant, presque timide-, mais il ne pouvait résolument laisser ainsi un voyageur sans lui proposer de quoi se remettre du chemin parcouru. La Demoiselle ne lui en voudrait sans doute pas de cette initiative. Son invité devait être accueilli de façon à ce qu'il soit certain, en repartant, qu'elle était capable de gérer un minimum un domaine et le bien être de ceux qu'elle y recevait.

Elle se comportait bien, sa petite cousine. Elle pouvait être vraiment charmante quand elle le désirait. Cela faisait plaisir à voir. Elle pourrait faire un bon parti. Elle n'était pas qu'arrogante, désinvolte ou parfois même impertinente. Elle était surtout vive d'esprit, intelligente, pleine de fraîcheur et habitée d'une certaine candeur, encore.

Puis, Baudouin proposa de se rafraîchir. Clémence hocha la tête à la proposition mais elle comptait bien soumettre une offre différente à son hôte, ensuite. Puisqu'il évoquait la vie en Champagne qu'il devinait agréable, -selon lui-, cela l'intéresserait peut-être de s'y promener un peu. Et d'ailleurs, à sa remarque, Clémence eut un sourire mi-figue mi-raisin, un sourire un peu désabusé mais légèrement amusé tout de même. Elle ne ressentait plus que si peu, cet amour de la Champagne qu'elle avait entretenu pendant ses seize premières années ! Tout ici lui semblait maintenant étranger. Même ici, à l'Épine, elle ne retrouvait plus les repères qu'elle aurait aimé garder, pourtant. Le fait de s'y retrouver seule, sans les personnes avec qui elle avait grandi et qui avec elle avaient fait vivre le château, devait être à l'origine de ce curieux sentiment.

Tout est plat, ici. Plat à perte de vue. Seules les vignes offrent un relief quelque peu agréable à ces terres de plaines. Du paysage champenois, nous ne pouvons retenir grand chose de plus. Quant au domaine, oui, il est plaisant. Plaisant de souvenirs, en fait. Elle esquissa un vague geste de la main. Je vous en ferai partager quelques uns, si vous le voulez, quand nous irons nous y promener.

Et cette phrase s'adressait autant à Amaël qu'à Isaure.

Mais pour l'heure, que pensez-vous tous les deux de l'idée de mon cher et prévenant intendant ?

Alors que les présentations et salutations étaient en cours un homme était approché et s'adressa à Amaël. Visiblement une personne de la Maison de L'Epine. Amaël ne répondit pas tout de suite et tourna un regard interrogateur vers son hôte. C'était à elle de décider. Approuvant l'idée de l'homme, qu'elle désigna comme son intendant, Amaël sourit.

Je pense en effet qu'un peu de repos et de quoi me sustenter me fera du bien avant d'entamer quelque activité.

Amaël avait approuvé, du chef, la proposition de Clémence de visiter plus avant les terres familiales de L'Epine. Sa manière de parler la Champagne l'avait tout d'abord surpris, mais se rappelant ses paroles, à Aix-la-Chapelle, et aux vues de la situation actuelle au sein de sa famille, il comprenait finalement ce léger ressenti vis-à-vis de ce terres.

Clémence chercha un assentiment au fond du regard d'Isaure -d'un joli bleu pâle comme elle en avait rarement vu- et n'y trouvant aucun signe de contradiction, estima que tout le monde était d'accord pour retarder un moment la promenade. Le soleil était à son zénith et il restait encore quelques belles heures pour en profiter.

A propos...Béatrice est ici. apprit-elle à Amaël alors qu'ils avançaient vers le donjon. Et ce faisant, elle réfléchissait à l'endroit qui convenait le mieux pour recevoir ses hôtes. Il était coutume de prendre le repas dans la chambre, et celle-ci était un endroit que l'on pouvait considérer comme public. Mais Clémence y passait déjà bien du temps, et cela faisait peut être des années qu'elle n'était pas passée aux cuisines -comme lorsque, petite, elle prenait place auprès de son père et qu'il lui faisait partager son amour de la bonne chère. Elle prit Baudouin rapidement en aparté pour lui signaler de préparer ce qu'il fallait avant qu'ils n'y arrivent. Et puis, elle revint vers ses invités.

Mais elle est souffrante, en ce moment. Elle vous en parlera sans doute mieux que moi... toujours est-il qu'elle ne nous rejoindra sans doute pas tout de suite.

Elle esquissa l'ombre d'un sourire et ses pensées se perdirent un instant dans de profonds méandres.

Puis, elle se reprit. Il n'était pas temps de paraître étrange ou distante aux yeux d'Isaure et Amaël.

Nous pouvons aller aux cuisines, c'est un endroit que j'aime particulièrement. Le maître-queux est un peu abrupt mais après en avoir eu peur pendant toute mon enfance, je sais maintenant qu'il grogne plus qu'il ne mord.

Elle aimait le tintamarre des casseroles, qui lui procurait un doux sentiment de confort : là bas, on la voyait encore comme l'enfant qu'elle était il y avait de cela de longues années lui semblait-il. On n'y allait pas par quatre chemins, on lui disait clairement ce que l'on pensait, on n'utilisait pas de tournures alambiquées, les mots fusaient, comme les jurons, on ne se taisait pas uniquement parce qu'on la voyait arriver. Elle aurait dû en être outrée, sans doute, mais si elle ne les encourageait pas à poursuivre leur concert endiablé, elle ne leur demandait pas pour autant de l'interrompre.

Le seul inconvénient à inviter Amaël et Isaure à s'installer en cuisine était qu'ils se rendraient compte par eux-mêmes du laxisme de leur hôte, qu'ils n'auraient vraisemblablement pas même deviné de la part d'une jeune femme aussi formaliste qu'elle -sur les conventions sociales et notamment sur l'étiquette. Mais c'était ainsi, elle avait besoin de se trouver rassurée, de temps en temps, et de retomber en enfance l'espace d'un instant. Et peut-être qu'en présence d'étrangers, maître-queux, queux, apprentis et valets sauraient faire montre d'un peu de retenue. C'était d'ailleurs presque certain. Ils servaient chez une grande famille, et ils avaient tout de même été éduqués à le faire.

Et puis, Amaël, je vous montrerai où vous dormirez ce soir. Et les soirs qui suivent, aussi longtemps qu'il vous plaira de rester.

Ajouta-t-elle alors qu'on leur dévoilait, après avoir poussé une porte, son antre de jeunesse.

Emboîtant le pas de Clémence, avec Isaure et l'indentant, vers le donjon du château Amaël ne cacha pas sa surprise aux quelques mots de son amie l'informant de la présence d'une autre amie.

Tiens donc ! Béatrice est ici.

Alors que Clémence s'écartait un instant d'eux pour parler à mi-voix avec son intendant Amaël se réjouit de savoir la duchesse de Nevers ici. Il n'avait pas revu Béatrice depuis son mariage à Aix-la-Chapelle, il avait hâte de prendre de ses nouvelles, ce que fit en partie Clémence en revenant auprès d'eux. Il fronça légèrement les sourcils en la sachant souffrante et espéra que ce n'était pas trop grave. Il se contenta d'hocher la tête et de continuer à avancer avec Clémence et sa cousine.
La proposition de son amie étonna Amaël, qui pour autant n'en fit rien paraître. Dans d'autres circonstances il aurait purement et simplement refusé. Chez lui-même, en Alençon, aux châteaux de Trun et Saint-Germain, il n'avait jamais mis un pied aux cuisines, alors chez les autres, vous imaginez ! Néanmoins il était là pour faire plaisir à Clémence il sourit donc légèrement à son amie.

Et bien soit, je vous suis, ouvrez donc la marche.

Assurément Amaël aurait hâte de quitter les cuisines pour découvrir sa chambre, mais qui sait, l'expérience pourrait se révéler intéressante et amusante au bout du compte. Il suivit donc Clémence jusqu'à ce lieu, inconnu du jeune Ried, mais que son amie semblait apprécier.