Cérémonie d'accueil de l'Intendant

La jeune servante avait pris très au sérieux la tâche qu’on lui avait confiée. Il fallait faire bonne impression auprès du nouvel Intendant.
Pour cela la salle de réception devait être impeccable, et pour ce faire elle s’était levée bien avant le lever su soleil pour la rendre impeccable.
Les tentures avaient été battues et dépoussiérées, les tapis de même, le parquet astiqué, les meubles rangés, la poussière et la crasse chassés avec la plus grande rigueur. Bref les choses étaient en place.

Restait à présent à dresser la table pour la collation offerte en honneur au nouvel Intendant. La cuisinière avait prévu du pâté en croûte avec quelques vins fins et des fruits.
Marieke avait allumé les bougies des chandeliers et avait fait monter le lustre par Norbert. Ce dernier devant aller chercher du bois durant la préparation des plats. La jeune fille espérait que ce rustre ne mette pas trop de saletés avec ses bûches.

C’est un peu inquiète qu’elle avait pressé le pas pour rejoindre la salle de réception, un grand plateau dans les mains.
Elle entra, et devant elle, le petit serviteur bossu, auprès de la table, la tête renversée en arrière, avec la cruche de vin de Touraine aux lèvres.

Marieke d’un naturel timide et réservé ne pu su retenir et lâcha une invective à Norbert.

Non mais… HEEEE TOI !

Norbert totalement surpris, la jeune demoiselle habituée à servir en de nobles maisons savait se déplacer en silence, fut victime d’une fausse route. Il se mit à recracher le vin, à tousser, son visage devint écarlate.

A la vue du vin répandu sur le tapis, la jeune domestique, senti la colère monter, puis prendre le dessus. Elle déposa son plateau sans ménagement et saisi un balais qui n’était pas encore rangé. Elle bondit sur un Norbert à l’agonie, et se mit à lui asséner une correction à coups de balais.

(accent flamand) Corne de bouc ! Sale truandaille de l’enfer, j’me vais t’corriger d’tantôt, vl’a qu’y saccage mon ouvrage, fiéfé maraud !

Beulbeul vit Norbert s'enfuir. Ce n'était point grave, elle saurait le retrouver tôt ou tard. Elle se tourna vers Mariéke qui était rouge cramoisie.
Beulbeul prit une voix plus calme pour s'adresser à la jeune fille.

Pourriez vous m'expliquer ce qui se passe ici ? Pourquoi tout se raffut ? Pourquoi couriez vous après Norbert ?

Nous attendons l'intendant d'une minute à l'autre, et cela m'étonnerait que vous étiez en train de vous amuser..Alors expliquez moi, s'il vous plait.

Beulbeul essaya de rassurer la jeune fille, elle la savait courageuse, consciencieuse pour ne point s'amuser dans de telles circosntances.

Marieke, ne voulait pas dénoncer Norbert, par solidarité de classe sans doute, par peur des représailles peut-être aussi. Elle était vraiment embêtée. Elle bredouilla:

(accent flamand renforcé) ik ben désol' désolée mevrouw, heuu madame, c'est que Norbert il a renversé, là le tapis. J'étais très woede, colère contre lui.
Voila, madame, je voulais lui faire comprendre...

Marieke voyait bien que la dame semblait s'amuser de la situation derrière son masque de fermeté. Et cela déstabilisait la jeune fille, elle ne savait pas si c'était là du lard ou du cochon.
Dans le doute, elle s'inclina encore et s'excusa.

Madame, dans quelques instants la salle sera prête, veuillez prévenir nos maîtres. Je prépare ce qu'il manque, je nettoies tout vite, vite.

Sur ce, elle saisi le balais qu'elle avait laissé choir, roula le tapis, épongea le vin et alla chercher les derniers mets en cuisine.

A la bonne heure, me voici soulagée de vous savoir en forme ! Ceci dit, veillez à ne pas trop abuser de votre regain de vigueur pour vous épuiser

La Marquise jeta un œil sur ce gobelet qu'il était en train de porter à ses lèvres alors même qu'il s'apprêtait à lui parler... Elle aussi en aurait volontiers dégusté ne serait-ce qu'une légère gorgée m'enfin, tel n'avait pas été la proposition de son époux alors tout en lui répondant, elle n'hésita guère à se servir seule une légère versée de ce vin afin d'y goûter...

Non mon aimé, je n'ai guère vu ce rustre de Norbert, ceci dit je doute que depuis notre dernière "entrevue" il ose à nouveau se montrer à moi ! puis songeant quelques instants tout en reposant la cruche de vin... Quoiqu'à présent que vous le rappelez à mon bon souvenir, j'ai bien cru entendre un bruit non loin des cuisines alors que je quittais les escaliers menant à cette pièce.

Regardant son époux descendre le regard vers le sol, le sien en fit tout autant et soudain Matthilde ouvrit tout grands les yeux

Par Aristote, mais bien sûr que si ! Ou est passé ce magnifique tapis Persan !! Et que diable s'est-il passé ici ? Toute cette poussière de terre ! Marieke ne devait-elle pas laisser tout en ordre ? Aurait-elle fuit le Castel pour une telle occasion ??

Mademoiselle Clémence, Mademoiselle Clémence...

Quelle était cette voix...Clémence se retourna, s'arrêtant alors dans son élan, lancée à vive allure sur une plaine verte sans fin : rien à l'horizon, hormis ce soleil rouge qui se couchait, et vers lequel Clémence accourait. C'était si beau, que Clémence en aurait pleuré, pleuré de frustration de ne pouvoir l’atteindre.
Se retournant, donc, à l’appel de son nom, elle ne vit rien. Trop heureuse de pouvoir continuer sa course, elle fit à nouveau volte-face, tendant les bras vers l’astre pourpre, et son cœur s’emballa lorsqu’elle le vit peu à peu descendre, disparaître, et la lumière avec lui. Les ténèbres venaient, et Clémence se laissa tomber au sol, désemparée.

...Mademoiselle Clémence !

La fillette se réveilla avec sursaut. Elle bondit de son siège et porta les yeux vers…Beulbeul. Qui se tenait là, près d’elle, la touchant à l’épaule. Elle s’était assoupie à la fenêtre, plongée qu’elle était dans le fameux Livre des Vertus qu’elle avait décidé de lire jusqu’au bout. Jetant un œil vers le dehors, Clémence vit que l’astre du jour disparaissait bel et bien. La nuit venait. Clémence poussa un soupir.

Bonsoir, Beulbeul. Que se passe-t-il de si urgent, que tu aies besoin de me réveiller ?

L’intendant va arriver, vos parents sont prêts à l’accueillir, vous devriez aussi venir, c’est Madame votre mère qui m’envoie.

Aussitôt Clémence fut d’aplomb, toute ragaillardie de cette nouvelle. Peu importe, qu’on l’ait réveillée. Ce qu’on lui proposait maintenant était bien plus intéressant qu’un petit somme dans un grand fauteuil. Enfin, un nouvel intendant faisait son entrée à l’Epine. Surtout que c’était elle, petit bout de femme de sept ans, qui avait proposé cet Alexandre de Montchicourt ! Non vraiment, elle se devait d’être là.

Je te suis.

Et c’est ainsi que Clémence arriva, les yeux encore embués de sommeil, les cheveux quelque peu emmêlés et les jupes froissées, à la salle de réception. Ses parents étaient déjà là, l’intendant pas. Elle espéra qu’il ne faudrait pas trop l’attendre. Clémence n’aimait pas vraiment ça, attendre.

Quand arrive l’intendant ? Il ne devrait pas être déjà là ?s’enquit la fillette d’un sourire innocent.

Voila qui était désagréable.
Norbert disparu, c'était à lui Fauchevent, qu'on avait demandé de convier tous les gens de la maison.
Il avait donc amené avec lui les deux autres gardes, les divers serviteurs et journaliers qui travaillaient en ce moment au château, ainsi que le métayer qui s'occupait des champs et bêtes du domaine. Tous devaient rencontrer le nouvel intendant.

Ce dernier se tenait sur le seuil de la porte menant à la salle de réception.
Fauchevent lui fit signe de l'avancer.

Allez m'sieur, v'nez donc, soyez pô si farouche.

Clémence promenait son regard amusé sur les différents, très différents personnages présents dans la pièce. Elle sourit aux paroles du nouvel intendant et hocha la tête, satisfaite qu’il ne bredouille pas. Elle jeta un œil à ses parents et se réjouit de voir l’approbation de sa mère se lire sur son visage. C’était bien, qu’il lui plaise. Il avait plu à son père, mais sa mère, elle, n’avait pas encore eu l’occasion de se faire un avis.

Marieke, la timide Marieke, venait d’entrer, et elle avait l’air toute penaude…Clémence l’observa verser le vin et ne put tenir sa langue :

Mademoiselle Marieke, vous n’avez que du vin ? Je n’aime pas vraiment le vin, moi.

Elle ne voulait pas l’embêter, mais elle avait soif aussi et ne souhaitait pas rester là à regarder ses parents boire.

Et sinon, Monsieur l’intendant, comment trouvez-vous l’Epine ? C’est grand, non ? Et beau, aussi. Mais vous n’avez sûrement pas encore tout vu, n’est-ce pas ?

Clémence fixa le regard du jeune homme avec un sourire complice. Ce n’était pas la première fois qu’elle le rencontrait, et ce n’était pas pour rien qu’elle lui avait proposé de parler de lui à son père. Cet Alexandre de Montchicourt lui avait plu, il avait l’air dynamique et chaleureux, et Clémence aimait les gens de cette espèce, de ceux qui ne se font pas marcher sur les pieds, qui montrent un tant soit peu de caractère. Et puis, il était aussi aimable et poli, pas du genre à manquer de respect à ses parents, ou à d’autres, même. Et les personnes plus vieilles n'intimidaient pas Clémence, c'était plutôt les enfants de son âge, qui l'intimidaient...

Clémence était fière d’elle, et cela se voyait sur son visage rayonnant. Oui, oui, elle avait bien choisi.