Consécration de la Chapelle Saint-Jean

L'abbesse de Sainte-Menehould s'était levée fort matin, avait fixé ses impedimenta au dos de sa mule, et s'en était allé parcourir les quelques lieues la séparant du château de l'Epine, au ryhme cahotant du trot de l'animal.

Elle avait reçu mandat de Monseigneur Son Frère l'Archevêque Thomas, Primat de France, à fin qu'elle aille en cette Seigneurie y consacrer une chapelle dédiée à Saint-Jean, martyre et compagnon de Christos.

Le soleil était déjà bien haut lorsqu'elle arriva en vue du castel. Elle préféra ne point passer par la demeure, et se rendit directement à la chapelle, située un peu à l'écart en lisière du domaine.

Elle entra. C'était un fort bel édifice, d'allure moderne, point trop spacieux, un espace de paix et de recueillement. L'abbesse versa un peu d'eau qu'elle portait sur elle, bénie en la cathédrale de Reims par Monseigneur, se signa et se dirigea vers l'autel. Elle rendit son regard à la fort belle statue de bois polychrome représentant le disciple martyre, qui semblait veiller sur elle, s'agenouilla et se mit à prier.

La demoiselle, en l'absence de son père et après la funeste disparition de sa tendre mère, se sentait désormais presque entièrement responsable du domaine. Aussi, c'était tout naturellement que ce matin là elle avait décidé de visiter les alentours, afin qu'on la remarque, qu'on la reconnaisse, et qu'elle aille propager elle-même la triste nouvelle. Oh bien sûr, des messagers avant elle s'en était chargé. Mais maintenant, c'était à elle d'aller vers les gens de l'Épine, envers qui elle se sentait maintenant une obligation, pensait-elle même, puisque ni son père ni sa mère n'étaient plus là pour répondre à leurs devoirs de Seigneurs de l'Épine. Lourde tâche, en vérité, quand on vient juste de perdre sa mère.

Mais elle y mettait de la bonne volonté, toute à son désir d'accorder un peu de temps à d'autres, d'écouter les soucis des autres et de les comprendre, d'adresser une parole, un geste de soutien ou d'amitié. C'était donc drapée dans des vêtements de deuil, taillés dans une étoffe brute blanchie autant que possible que Clémence s'était rendue à l'Épine à pied, passant d'abord par les champs et les vignes, une légère vague à l'âme. Nulle riche parure n'était utile en ce jour. Du blanc, uniquement, c'était suffisant. Qui la voyait comprenait son deuil et en devinait son identité. Alors, on venait la saluer, partager un souvenir ou un mot réconfortante avec elle. Clémence, ainsi, apprenait à les connaître, elle apprenait leur métier, l'importance de chacun, leur quotidien, qui venait de naître, qui ne verrait sans doute pas les premiers jours du printemps, et ce qu'on prévoyait cette année pour la récolte.

C'est à son retour vers le castel qu'elle surprit une silhouette se faufilant entre les portes de la chapelle de l'Épine. Cela lui donna alors l'idée d'y entrer à son tour et d'y prier un peu, encore. Et puis, c'était ici que serait donnée la cérémonie en l'hommage de la noble défunte. Il était temps de s'intéresser de plus près à sa disposition.

A l'intérieur, elle s'avança le long de la nef, se signa devant Saint-Jean et remarqua alors la silhouette agenouillée d'une abbesse. Sans doute était-ce là la Mère Cappa, qui venait ici en reconnaissance. Ne voulant point la perturber, Clémence décida de s'agenouiller à son tour, libérant alors son esprit à Dieu, gardant néanmoins l'abbesse dans son champ de vision.

Une fois qu’elle se fut bien recueillie, qu’elle eut bien prié et grandement purifié son âme, l’abbesse se releva. Elle vit alors la Maîtresse des lieux, agenouillée un peu en retrait d’elle.

Dame Clémence, je vous salue et vous bénit. Je venais ce matin procéder à la consécration de votre belle chapelle. Je suis fort ayse de vous voir. Je vais procéder en votre compagnie, si cela vous agrée.

Elle alla au bât de sa mule y prendre une besace dans laquelle elle avait préparé tout ce dont elle avait besoin pour la Cérémonie. Une petite fiole d’eau bénite, un petit pochon de terre consacrée, un cierge provenant de la Cathédrale, un encensoir et un ingenieux boîtier contenant de l'étoupe que l'on enflammait par l'étincelle produite lorsque l'on frappait une petite pierre. Tout était donc fin prêt pour la bénédiction du nouvel édifice.

Elle se vint placer face à l’autel, et entonna à haute voix les rituelles paroles. Elle les prononçait pour Clémence et elle-même, mais dans le même temps la Terre entière et le Ciel pouvait les oir.

Nous, Cappa de Sens-Caumun, vicaire diocésain de Reims, sommes ici par la volonté de Monseigneur l’Archevêque de Reims, Primat de France, pour offrir ce lieu Saint au Très-Haut, et par le rite de la consécration demander que Sa Grâce nous touche, ainsi que tous ceux qui viendront en ces murs se recueillir, et par sa dédicace, nous baptisons aussi cette chapelle en l'honneur de Saint-Jean, disciple et martyre, et demandons humblement sa protection, maintenant et pour les siècles à venir.

Avant de procéder à la consécration par le rite traditionnel visant à unir les cinq éléments, récitons notre Credo, la prière de la Foy.

Je crois en Dieu, le Très-Haut tout puissant,
Créateur du Ciel et de la Terre,
Des Enfers et du Paradis,
Juge de notre âme à l'heure de la mort.

Et en Aristote, son prophète,
Le fils de Nicomaque et de Phaetis,
Envoyé pour enseigner la sagesse
Et les lois divines de l'univers aux hommes égarés.

Je crois aussi en Christos,
Né de Maria et de Giosep.
Il a voué sa vie à nous montrer le chemin du Paradis.
C'est ainsi qu'après avoir souffert sous Ponce,
Il est mort dans le martyr pour nous sauver.
Il a rejoint le Soleil où l'attendait Aristote à la droite du Très-Haut.

Je crois en l'action divine ;
En la Sainte Église Aristotélicienne Romaine, Une et Indivisible ;
En la communion des Saints ;
En la rémission des péchés
En la vie éternelle.

Ainsy Soit Il

Quand le Credo fut dit, Cappa prit dans ses mains le cierge allumé par le briquet et déambula aux quatre coins de la chapelle, à fin que celle-ci soit toute illuminée par la Lumière Sacrée. Puis elle revint se placer face à l'autel.

Ce feu est le symbole de la Lumière qui règne en ce lieu. Par cette Illumination, nous trouverons le chemin que le Très-Haut nous demande de suivre vers le Paradis Solaire. Que cette flamme qui monte vers le Ciel purifie et donne bénédiction à cette chapelle.

Puis elle prit la bourse où se trouvait la terre. Elle fit de nouveau le tour, en déposant à chaque coin un petit peu de cette terre. Après qu’elle eut reposé la bourse, elle reprit la parole.

Cette terre est le symbole de ce que le Très-Haut nous confie durant notre vie ici-bas. Que le socle fondateur sur lequel repose toute l'architecture de l'édifice de notre Sainte Eglise Aristotélicienne purifie et donne bénédiction à cette chapelle.

Puis elle prit le petit récipient plein d'eau et elle reprit à nouveau son périple, aspergeant chaque coin avec un peu d'eau bénite. Ayant fait le tour, elle déposa le récipient à coté de la bougie et de la bourse.

Cette eau est le symbole de la Vie que le Très-Haut nous donne, à fin que nous la consacrions entièrement à la recherche de la Vertu. Que la force vitale de cette eau purifie et donne bénédiction à cette chapelle.

Elle se retourna alors pour prendre l'encensoir. Elle l'alluma pour que la fumée de l’encens s'en dégage et parcourut la chapelle avec l'encensoir à la main. Elle déposa en fin l'encensoir auprès des autres instruments.

Cet air est le symbole de la Compréhension que le Très-Haut nous donne de l’Architecture du Monde. Que l'encens qui chasse les pensées mauvaises purifie et donne bénédiction à cette chapelle.

Les quatre éléments ayant été liés à l’intérieur de la chapelle, ores l'Éther pouvait achever ce qui avait été commencé ...

L'Ether est l’Ultime élément. Cet élément achève l'alchimie des quatre éléments physiques, c’est ce qui nous lie au Très-Haut et à la Sphère céleste, et nous le retrouvons au travers de l'enseignement que nous ont laissé Aristote et Christos. C'est par son action que cette chapelle est maintenant consacrée.

La désormais chapelaine de Saint-Jean de l’Epine enchaîna avec quelques saintes & liturgiques formules.

Que le Très Haut protège ce lieu des impurs et en fasse un lieu qui Lui est consacré !
Que le très Saint Aristote, insuffle la Raison dans les pensées tourmentées qui visiteront ce lieu !
Que Notre Créateur bénisse ce lieu dédié à la diffusion de Sa parole !
Que le très Saint Christos insuffle la paix dans le cœur de ceux qui visiteront ce lieu !
Que ce lieu devienne le nœud principal de notre voyage vers la paix, l’amour et le paradis solaire !
Par Titus qui consacra la première cathédrale, et par le pouvoir qu’il nous a transmis de perpétuer ce geste, Moi, Cappa de Sens-Caumun, vicaire diocésain de Reims, je consacre ce lieu pour qu’il soit un point d’entrée dans la communauté des fidèles.
Ce lieu est désormais un lieu consacré interdit à ceux qui n’ont pas la foi ou qui sont exclus de la communauté des fidèles.
Tout acte de blasphème fait en ses lieux serra une injure envers le Très Haut lui-même.

Cette chapelle était maintenant reconnue comme étant la maison du Seigneur aux yeux de l'Église Aristotélicienne, et tous les sacrements qui y seraient désormais célébrés selon son rite seraient reconnus par ycelle.

L’abbesse n’oublia pas dans son office d’honorer dignement le Saint Patron du Lieu, et s’agenouillant de nouveau, elle Lui adressa une prière, la tête levée vers son Icône, les yeux dans Ses yeux.

O glorieux Jean, qui avez été tant cher à Christos
Que vous avez mérité de reposer votre tête sur sa saincte poitrine,
Et d'être, par lui et en sa place, donné comme fils à sa mère ;
Mettez en mon coeur un amour vif pour le très Haut, Aristote et Christos.
Obtenez du Seigneur que moi aussi,
Avec un coeur pur de toute affection terrestre,
Je sois digne d'être toujours uni ici-bas,
A Aristote et Christos, comme fidèle disciple,
Et au très Haut, comme fille dévouée,
Afin de leur rester éternellement uni dans le ciel.
Ainsy soit-il.

Puis elle ramassa son fourbi, l’enfourna dans sa besace, et se retourna vers Clémence …

Clémence avait hoché la tête aux primes paroles de l'abbesse à son attention. S'en était suivi un sourire reconnaissant. Cette femme n'était plus une étrangère. Elle avait assisté avec elle à la mort de sa mère. Elle lui avait ouvert les yeux sur bien des choses. Elle lui avait permis de croire davantage. Raphaël aussi avait fait toutes ces choses. Mais lui, il avait également réussi à la faire croire en elle-même, il lui avait montré l'envers du décor, celui que Clémence s'était jusqu'ici refusée à voir. Mère Cappa et lui avaient été ceux sans qui aujourd'hui elle se lamenterait sur son sort, repliée sur elle-même, oubliant que la mort n'était qu'un commencement pour ceux qui y succombaient et que trop se morfondre et pleurer du trépas d'un proche ne prouvait pas son amour pour celui-ci mais plutôt un profond et inexcusable égoïsme. Surtout quand comme elle on avait conscience des souffrances endurées par Matthilde ces derniers mois.

Avec l'abbesse elle avait murmuré le Credo, y mêlant ferveur et amour. Elle avait ensuite suivi la cérémonie avec un émerveillement digne de ceux dont elle pouvait faire preuve lors de sa toute jeune enfance. Quand un rien l'étonnait encore et qu'elle osait en rire. Elle écouta avec intérêt la prière à Saint-Jean qu'elle ne connaissait pas vraiment, se promettant alors de l'apprendre et de la réciter plus souvent en mémoire du Saint Martyr, Saint Patron de la chapelle du domaine familial de l'Épine.

Lorsque Mère Cappa s'était finalement retournée vers elle, Clémence lui avait offert un visage duquel on ne pouvait certes pas ôter ce doux soupçon de mélancolie mais qui désormais paraissait comme apaisé.

Je vous remercie, ma Mère. Elle prit une légère inspiration. Peut-être pourrions-nous en profiter pour discuter de... la cérémonie... les funérailles.

Elle avait eu horreur de ces mots au moment même où elle les avait prononcés. En profiter pour discuter de la cérémonie... comme l'on en profite pour discuter de la façon d'organiser une réception. Une mondanité... un événement furieusement banal.

Comment... comment devront-elles se dérouler ? Je veux dire... traditionnellement. Comment cela doit-il se passer ?

L'abbesse parut un instant décontenancée par la question. A vrai dire, les funérailles se passeraient comme elles devaient se passer. Puis elle se rendit compte du poids qui devait peser sur les frêles épaules de cette jeune femme, de sa solitude, de la fin de son insouciance et de son apréhension de devoir soudain assumer les décisions.

Elle lui adressa un chaud sourire - pour le moins elle tenta de la faire, malgré la circonstance, avec toute la douceur dont elle était capable.

Ne vous inquiétez pas, Ma Fille, celà se passera bien, il n'y a point de raisons. Au moment voulu, vous ferez apprêter la chapelle, à votre goût, le noir sied généralement au deuil, mais celà reste à votre convenance, ainsy que les fleurs. Vous équiperez un charroi découvert, tiré par des chevaux caparaçonnés, pour mener la bière depuis le castel, et choisirez quatre forts porteurs, soit parmi votre garde, soit parmi les proches de Feu Madame Votre Mère, toujours à votre gré, pour mener la bière au catafalque dressé au flanc de l'autel. Ensuite je mènerai la cérémonie.

Une fois celle-ci terminée, la bière sera remise au charroi et nous irons au cimetière, derrière cet équipage, mettre la défunte en terre.

Ensuite, c'est à votre convenance, Ma Fille, de mener vos devoir de Maîtresse, en donnant, ou point, repas de funérailles.

Il y a-t'il autre chose que je puisse vous dire, Ma Fille ?

Les proches de feu Madame sa mère... En restait-il donc ? N'étaient-ils donc pas morts, tous autant qu'ils soient ? Non, à sa souvenance, il en restait encore un. Le Vicomte de Saint-Germain. Mais qui d'autre, hormis lui, avait connu sa mère dans ses jeunes années ? Qui donc, qui ne soit pas parti avant elle ? Clémence eut un léger soupir. Des générations passées, des générations amies, il ne restait que leur progéniture. C'était dans l'ordre des choses. On laisse la place aux générations futures. On s'efface...

Un repas de funérailles... En trouverait-elle la force ? Mais elle ne pouvait refuser le pain à ceux qui pour sa mère, pour son père et pour elle, se seraient déplacés. Et bien soit, nous tâcherons de célébrer dignement la résurrection de sa mère au Paradis Solaire. Qu'elle y soit bien accueillie.

Non, ma mère. Je ne vois pas d'autres questions. Je vais vous laisser vaquer à vos occupations. Je vous remercie du fond du cœur pour votre présence. Nous allons nous revoir... bien assez tôt. Pour ma part, je vais rester ici un peu. Et prier.

Elle lui adressa un timide sourire. Prier : il lui semblait n'avoir jamais autant prier qu'au cours de ces derniers jours.

» La Chapelle Sainte Gudule