Famille et sentiments

Pas un instant elle n’avait hésité. Aussitôt la lettre décachetée, le contenu survolé, la jeune Wagner ne perdit pas une minute. Le visage grave, elle avait dépêché un laquais avertir la duchesse de son départ imminent pour l’Epine où sa cousine avait besoin de sa présence. Certes, à aucun moment, elle l’avait invitée à la rejoindre dès réception de ce pli. Elle l’informait seulement du décès de sa mère, Matthilde de Beaugency, cette tante qu’elle n’avait jamais rencontrée. Pourtant, Isaure ne pouvait se résoudre à laisser sa cousine seule. Elle avait eu vent de la longue absence du Marquis, et même s’il s’avérait être au côté de sa fille en ce triste jour, elle ne serait sûrement pas de trop. Elle ne savait que trop bien ce que l'on ressentait quand on perdait un proche. Elle était jeune et pourtant, il lui semblait ne plus compter les deuils…

C’est ainsi qu’elle se retrouva au grand galop sur les chemins champenois. L’urgence lui faisait prendre des risques : prendre une escorte lui aurait fait perdre plusieurs heures, et se retrouver au plus vite auprès de Clémence était sa seule préoccupation. Et puis, le Très-haut veillerait sur elle ! Comme il l’avait si bien fait jusque là sur les chemins. Il lui prenait des êtres chers, mais en retour, il se devait de lui apporter protection. Isaure aimait bien à se dire que c’était leur pacte.

Bientôt, pas assez vite au goût de la petite Morvilliers, les grilles du domaine se dessinèrent. La jeune fille fit ralentir sa monture et une fois parvenue à l’entrée elle interpella un garde.

Ola ! Faites prévenir la Demoiselle de Villorceaux que sa cousine, Isaure Wagner de Morvilliers l’attends au grilles.

[edit: correction d'une phrase]

C'était qui, elle ?

...

Jamais vue.

En même temps, on voyait pas grand monde ces temps-ci. Mais bon, fallait s'attendre à ce que des gens inconnus comme la ptite dame là juste devant s'amènent au château, maintenant. Ben oui : la demoiselle était rentrée, la Marquise était morte -paix à son âme-, ce qui paradoxativ...paradoxivement... paradoxquoiquecesoit allait sans doute apporter un peu de vie ici. Les visiteurs, pour les funérailles. Les messagers, pour les condoléances. Les proches, pour le soutien. Tout ça, quoi.

Donc bon, qu'il la connaisse pas, c'te demoiselle de Morvequelquechose, ça voulait rien dire. Et puis bon, elle était pas haute comme trois pommes, et c'était pas ses yeux qui allaient l'intimider : il en avait vus d'autres, ici, dans ce château. L'avait pas l'air bien dangereuse.

Il lança un regard derrière son épaule, fit un signe de tête à l'attention d'un domestique qui devait sans doute signifier "ya quelqu'un là qui veut entrer" et il répondit finalement, d'un ton un peu las -l'ambiance au castel était un peu bizarre depuis quelques mois- :

Bon ben m'avez pas l'air bien dangereuse... Je vous ai fait appeler l'intendant. Entrez donc dans la cour on va vous amener à la Demoiselle Clémence.

Et il maugréa dans sa barbe, pour lui seul :

Et la prochaine fois, venez accompagnée... m'étonnerait que vous fassiez le poids contre une bande de brigands mal intentionnés...

Il était entré en service hier. On lui avait dit qu'ici, il ne se passait jamais grand chose, que son travail n'allait pas être trop éreintant. On lui avait aussi dit que les intendants ne faisaient jamais long feu, à l'Epine. Il y avait quelque chose qui les faisait fuir... un ambiance... il n'en savait rien.

Il y avait eu un certain Louis. Il était mort... Ici même, près d'un lac, s'il avait bien tout saisi. Et puis un Alexandre de Montchicourt. Lui, il n'avait pas bien compris ce qui lui était arrivé. Parti, sans doute. L'ennui, peut être. Enfin Guenther. Qui était là encore à la mort de la Marquise. Et qui avait donné sa démission le lendemain. D'aucuns diraient que son attachement pour la Marquise était tel qu'il n'avait pu supporter de la voir partir alors que lui resterait là. D'autres ajouteraient qu'il ne s'agissait pas d'un simple attachement anodin, qu'il aurait toujours voué une admiration sans borne à la maîtresse des lieux... Mais ça n'était sans doute que rumeurs. Le genre de rumeurs qui vont bon train au sein d'un château.

C'était Marieke, qui avait proposé Baudouin à Clémence. "Bauden" c'était en fait, son nom. Il était flamand, comme l'était Marieke, et c'était sans doute par solidarité qu'elle avait timidement avancé son nom. Rapidement, la demoiselle de l'Epine avait réclamé un entretien, -n'ayant pas le temps de chercher par elle-même-, et remarquant avec soulagement qu'il n'avait pas le même accent que sa compatriote et qu'il avait l'air plein de bonne volonté, elle avait décidé de l'engager. Pour voir, d'abord.

Bref. Baudouin avait été réclamé à l'entrée du donjon. Il avait filé aussi vite que possible, à la fois ravi et surpris de l'appel. Après tout, on lui avait dit que son travail serait calme, voire ennuyant... et voici que pour son premier vrai jour, on réclamait déjà ses services.

Il arriva en trottinant dans la cour, adoucissant sa foulée avant que la demoiselle qui attendait là ne le voie courir, et se présenta en souriant :

Bonjour damoiselle. Que puis-je faire pour vous ?

Tout tranquillement, il attendit une réponse. Il avait un air bonhomme, mais il avait l'esprit alerte et le regard brillant. Il n'était pas de cette engeance qui cherche à en faire le moins possible en espérant récolter la même chose que celui qui, à côté, se tue à la tâche. Non : Baudouin était un homme qui savait ce qu'il voulait, et qui s'attelait à y arriver tranquillement mais sûrement, comme on disait.

Isaure, qui venait de passer les grilles, mit pied à terre. Un serviteur fut dépêché vers le castel. L’animal piaffait, secouait frénétiquement la tête. La jeune fille patientait, sans prêter plus grande attention au garde qui marmonnait dans sa barbe des paroles inaudibles. D’ailleurs, elle était bien trop occupée à regarder les alentours. C’était la première fois qu’elle venait à l’Epine. La première fois d’ailleurs qu’elle rendait visite à Clémence. Depuis leur rencontre fortuite à Limoges, les cousines ne s’étaient pas revues, mais elles avaient échangé quelques lettres. Peu nombreuses certes, mais pour elle, le sang commun qui coulait dans leurs veines était plus parlant que de simples bouts de parchemins. Bientôt, un homme se présenta à elle. Il devait s’agir de l’intendant, ou quelqu’un apparenté.

Bonjour Messire, je souhaiterais m’entretenir avec votre maîtresse, ma cousine. Je viens de recevoir sa lettre, au sujet du décès de la Marquise, ma tante. Si vous pouviez lui annoncer mon arrivée au plus vite !

Sa cousine ? Il lui coula un regard surpris. En quoi se ressemblaient-elles donc ? Mais bon... Les ressemblances n'étaient bien souvent frappantes que lorsque les alliances étaient des plus directes. Il réfléchit... et l'on pouvait le voir sur son visage, car on lisait en lui comme dans un livre ouvert. C'était là un de ses défauts, un de ceux que Clémence avait de suite remarqué et elle lui avait immédiatement notifié. Il avait cru voir dans ses yeux, d'ailleurs, comme un éclat amusé. L'observation l'avait un peu gêné, mais il s'était promis d'y remédier. ça n'était pas encore maintenant qu'il parviendrait à changer cela.

Car donc, il réfléchissait... Il s'était occupé, pendant la soirée de la veille, à reconstituer l'arbre généalogique de la famille. Il avait trouvé quantité d'informations à ce sujet, à la bibliothèque. Cela faisait beaucoup de noms... Et il en avait retenu quelques uns. Cette jeune fille, il essayait donc de la remettre. De quel côté était-elle ? De quel frère ou de quelle sœur ? De sœur, il lui semblait que Sa Seigneurie Albert de l'Épine en était doté de deux. Deux frères également, dont l'un était mort. Concernant feue la Marquise... il n'était nulle question de fraternité directe. Ou pas à sa souvenance. Il y avait bien eu un frère, de la même mère, mais de père différent... Mais de toute façon, il n'en saurait rien sans le demander. Et il ne pouvait deviner en s'aidant du physique puisque du Marquis il ne connaissait que le nom et que la Marquise...

Alors, après avoir hélé un valet pour lui demander de courir annoncer la visite à Mademoiselle Clémence de l'Épine et tandis qu'il conduisait la demoiselle à travers les couloirs, il tenta d'engager la conversation.

Bienvenue à l'Épine, damoiselle. Je vais vous conduire dans l'antichambre des appartements de Mademoiselle de l'Épine. Je crois qu'elle se repose.

Puis, reprenant d'un ton engageant :

Je ne me suis pas présenté... Je m'appelle Baudouin. Je viens d'entrer au service de votre... cousine. Elle ne m'a pas encore instruit des personnes dont nous pourrions recevoir la visite icelieu. D'où, ou plutôt de qui vous vient votre parenté ? J'ai à cœur de mieux connaître la famille pour qui je travaille, alors pardonnez-moi si vous trouvez ma question un peu trop curieuse.

Et alors qu'il terminait sa phrase, il ouvrait la porte d'une pièce qui se révéla être la fameuse antichambre. D'un geste, il l'invita à entrer.

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