La salle de garde

Clémence planta ses deux poings sur ses hanches, manifestement outrée.

Monsieur le garde, vous inversez la situation ! C'est vous qui me dérangez alors que je vous demande de partir. Moi je ne fais rien de mal, rien de méchant ! Vous avez tenté de me faire peur en entrant ici, puis vous avez continué, et maintenant on dirait que vous me menaçez.

La fillette secoua ses boucles blondes, désemparée. Cela ne se passait pas vraiment comme elle l'avait espéré. Les larmes lui venaient même presque aux yeux, tant elle était déçue. Elle avait juste voulu s'offrir un peu de bon temps, à flâner seule sous les arbres, et cet épouvantail venait contrarier ses plans en menaçant d'aller la dénoncer à son père.

Vous êtes...méchant.

Même sa répartie l'abandonnait, désormais. Mais que pouvait-elle dire d'autre ? Le menacer à son tour ? Elle venait de le faire, et cela n'avait pas paru l'effrayer tant que ça. Au contraire, au lieu de prendre peur des remontrances que pourrait lui adresser son père, il avait utilisé ce même argument afin de l'effrayer, elle ! Inouï...Elle essaya un autre moyen. Son dernier espoir, sans doute.

Pourquoi faites-vous ça ? Je suis grande, maintenant, je pense pouvoir me promener seule sans que l'on m'accompagne. Et surtout, j'en ai absolument besoin, Monsieur Fauchevent. Vous, vous vous promenez toute la journée tout seul, vous pouvez lever le nez en l'air et regarder les oiseaux s'il vous plait de le faire, sans personne pour vous tenir la main et vous dire qu'il faut rentrer alors que vous n'en avez pas envie. Mais moi...continua-t-elle d'une voix éplorée moi, je dois attendre que l'on daigne écouter mes propres envies, et des fois j'ai beau attendre, attendre et attendre encore, on ne m'écoute pas et on me dit de rester tranquille, d'être gentille, et d'attendre, attendre, alors que je ne fais que ça. Elle reprit son souffle et leva un regard implorant vers le garde. Comprenez-vous, Monsieur Fauchevent, mon besoin d'être pour une fois un peu toute seule ?

Les lèvres tremblantess afin de donner un meilleur effet à sa tirade mélodramatique elle hésita à se mettre à genoux pour conclure, mais se ravisa : il ne fallait pas que cela tourne en farce sinon Fauchevent ne s'y laisserait jamais prendre.

Me laisserez-vous donc partir, maintenant ?termina-t-elle en baissant les paupières et en reniflant légèrement.

Fauchevent était bien embêté, il avait écarté le spectre de la dénonciation, et ce n'était pas rien. Mais voila que le petite allait d'un instant à l'autre fondre en sanglots. Fauchevent n'en retirait aucune satisfaction, bien au contraire. Il aurait même voulu à cet instant dire quelque chose de familier pour la réconforter.
Et puis, il se dit que si l'on trouvait la petite en pleurs devant lui, il aurait à s'expliquer.

Que faire, la petite voulait, et maintenant c'était clair, sortir sans permission.
Ses parents étaient de sortie dans le domaine, la Dame de compagnie était on ne sait-où, la nourrice avec. Pas d'intendant.
Par son ancièneté Fauchevent était le "chef" des gardes, et bien qu'il refusait systématiquement cette appellation, de fait c'était le cas.

S'il faisait faire un tour à la petite, qui irait lui chercher des problèmes? Les autres gardes ne diraient rien, Norbert jurerait sur les Ecritures qu'il n'aurait rien vu, la petite boniche éviterait les problèmes et ne piperait mot.

Bon, bien se dit Fauchevent, pour qui la décision était prise.

Sortir?
Vous voulez vous prom’ner dans la cour? Vous savez c'est pas vraiment amusant la cour, c'est sale, et pis les gros chiens viendront vous lécher.
Et pis je sais pas si je peux vous accompagner hors des murs.

Mais si vous y tenez, on peut faire le tour de la cour.

Que...Que...Quoi ? Faire le tour de la cour? Avec cet homme ? Rien de bien alléchant, à vrai dire ! Et tellement inattendu ! Clémence écrasa la larme qu'elle avait tant bien que mal réussi à faire perler au coin de sa paupière et lança un regard héberlué au garde.

Qui aurait bien envie de faire une promenade dans la cour, après le portrait qu'il venait d'en tirer devant elle ? Qui aurait bien envie, qui plus est, de se promener avec lui, de l'avoir comme compagnon ? La fillette ne se sentait pas tout à fait à l'aise avec Fauchevent, et elle pensait qu'il en allait de même pour lui en ce qui la concernait. Alors pourquoi l'inviter à se promener ensemble ? Peut-être se sentait-il coupable de ses paroles et voulait-il se faire pardonner ? Exactement ce qu'avait escompté Clémence, en fait, mais pas de cette façon là...ça, non, pas du tout ! Il était simplement prévu qu'il la laisse filer sans lui poser de questions et qu'au cas où on lui en poserait à lui il ne réponde rien en retour.

Monsieur Fauchevent...Commença Clémence. Et sa voix se brisa, incapable de trouver quoi redire à présent. Elle avait épuisé toutes ses possibilités. Il ne lui restait plus que la sincérité. Je n'ai pas vraiment envie de sortir dans la cour. J'avais d'autres...d'autres...envies. Le grand air, l'air pur, les arbres, le vent, les oiseaux, pourquoi pas l'étang, même s'il est un peu loin, c'est vrai, et que jamais je n'aurais osé y aller. Mais le parc, par exemple. Vous voyez, ces lieux où vous ne pouvez pas venir avec moi. Et où je ne peux aller sans personne. La cour, non, je ne veux pas. C'est laid, que l'on se place d'un côté ou de l'autre, la vue est la même. Avec vous ? Non. Vous n'êtes pas très drôle, sauf quand vous avez l'air embêté. Ne vous vexez pas, mais je préfère encore la compagnie des nourrices.

Quoique...Mais cela était un sujet bien discutable.

Je ne peux pas me promener avec vous, et je ne le veux pas non plus. Et puisque vous m'avez gâché ma promenade, je n'ai plus du tout envie de sortir maintenant. C'est vous qui avez gagné. Vous avez gagné.Répéta-t-elle. Je vais maintenant retourner m'ennuyer et me faire disputer par mes nourrices.

La petite demoiselle était bien déçue.
Fauchevent venait de comprendre ses intentions, elle ne faisait pas que se prommener seule, elle avait l'intention de faire le mur.
Des souvenirs d'enfance lui revinrent à l'esprit, cela le fit sourire.

Il se tut et refléchit un instant. Puis prit une décision.

M'selle Clémence, j'vais vous conduire à Dame Beulbeul. J'lui dirais rien d'vos intentions, mais promettez-moi d'être bien sage, avec d'la chance, la Dame de compagnie de vot' Mère s'ra occupée et vous pourrez aller à vot' guise. J'lui demanderai également où vous avez l'droit d'aller, comme ça j'saurais s'qui est bon pour vous.

Beulbeul, occupée aux affaires de la marquise, avait très peu vu Clémence de la journée. Elle savait que la jeune enfant aimait farfouiller, se promener dans les différentes parties du chateau.

L'heure du gôuter approchait, et il faudrait que la demoiselle de compagnie aille à sa recherche.

C'est alors qu'elle l'a vue s'approcher en compagnie de Fauchevent. La mine renfrognée, les grands yeux bleus de la fillette la regardaient fixement.

Cette jeune fille avait quelque chose à demander pensa Beulbeul aussitôt.

Bonjour Messire Fauchevent...Je suis assez étonnée de vous voir dans cette partie du château. Ce n'est pas dans vos habitudes de venir en ces lieux ? interrogea la demoiselle de compagnie.

Aussitôt Fauchevent retira son casque et inclina la tête.

M'dame, mes respects.
La petite demoiselle avait besoin d'être accompagnée dans les étages, c'est pourquoi j'suis là.

La moue dubitative de la dame de compagnie ne le rassura pas, mais il devait choisir. Soit il abandonnait la petite ici, et elle lui en tiendrai rancune, soit il posait sa question.
Pas très sûr de lui il tenta la question.

M'dame, v'oulais vous d'mander quelqu'chose. Si Mademoiselle Clémence demande à sortir, j'veux dire, hors des murs, est-ce possible si je l'accompagne?
J'me disais ça parce que la petite, elle est toujours enfermée, et que j'la vois à la f'nêtre regarder la campagne. Et pis, vu qu'je vais à la ferme d'mes vieux demain, j'pourrais lui montrer des bêtes. Instructif ça, des bêtes pour un chtiote, pas vrai?

Obligée de le suivre, elle se tint sur ses pas, et bientôt ils tombèrent sur Beulbeul.

Cette dernière la regardait, interrogative, et Clémence lui rendit son regard, tentant d'y mettre la plus grand misère du monde. Peut être que celle ci succomberait, à l'instar du garde...

La demoiselle écouta Fauchevent s'expliquer et les mots fusèrent d'un coup de sa bouche, comme les éclairs de ses yeux.

Non, vous ne m'aviez pas dit que ce serait avec vous ! Je ne veux pas me promener avec vous ! Je vous l'avais bien dit, pourtant.

Elle jeta un regard noir à Fauchevent puis le rabaissa, légèrement embêtée.

Par contre, je veux bien voir les bêtes de la ferme.marmonna-t-elle, mine de rien.

Clémence qui avait besoin d'être accompagnée dans les étages serait d'une grande nouveauté de la part de la fillette, et en plus par Fauchevent...pensa Beulbeul. Mais pourquoi pas, la fillette avait ses caprices, et pourquoi pas celui ci.

Lorsque le garde lui parla de sortir l'enfant de l'enceinte du domaine, son regard en dit long.

La petite, comme vous dîtes, n'est pas enfermée, elle a toute la cour pour jouer et prendre l'air. Sortir hors des murs, me semble impossible pour le moment. L'extérieur du château n'est pas sûr.

Néanmoins, comme vous le dîtes, la jeune Clémence serait certainement très heureuse de voir des animaux, et c'est instructif.
Je dois y réfléchir mais cela pourrait peut être l'interresser. Et puis, j'arriverais peut être à me libérer pour vous accompagner....

Fauchevent se sentit soulagé, l'affaire était reglée.

A la bonne heure m'dame. Si vous avez b'soin d'moi demain ou à l'avnir, demandez et Fauchevent vous conduira par monts et par vaux.

Il s'inclina et se retira, laissant les ennuis derrière lui, et bien décidé à achever ce qu'il ambitionnait depuis le départ: manger.

Beulbeul regarda la jeune Clémence et vit ses grands yeux bleus emplis d'une tristesse. Elle comprit alors le désir de la fillette. Non ce n'était pas sortir du domaine pour voir ce qu'il y avait en dehors, mais bel et bien sortir seule.

Certes Clémence n'était plus un nourisson mais elle n'était pas encore en âge de sortir seule en dehors de l'enceinte du domaine.

Beulbeul se toruvait alors face à un dilemne. Si elle interdisait toute sortie à l'enfant, elle risquait de la retrouver hors de la demeure, connaissant la fillette, cela risquait fort de se produire. Mais l'autoriser n'était pas possible également.

Les risques étaient trop grands...

Mademoiselle Clémence, seriez vous intéressée pour voir les animaux de la ferme ? Cela vous plairait il que je vous y accompagne ? Nous pourrions ainsi nous balader, et profiter de ce si beau temps....

Clémence observa Fauchevent s'en aller.

Ah ! Pensa-t-elle.Il a bien eu ce qu'il voulait, le traître. Me refiler à une nourrice, à quelqu'un, peu lui importait du moment qu'il avait la paix ! Gentil par devant, lâche par derrière. S'il avait si bien compris ce que je voulais, jamais il ne m'aurait conduite à Beulbeul. Il m'aurait laissée filer et n'en aurait pas dit un mot...J'aurais sû me taire, moi aussi, si j'avais été prise. Je n'aurais pas cité son nom...

Tant pis pour lui...Tôt ou tard, elle lui rendrait sans doute la monnaie de sa pièce.

Puis, tournant son regard morose vers Beulbeul elle lui adressa un petit sourire triste.

Beulbeul, je suis contente de te voir. Mais tout ça m'a fatiguée. Fauchevent n'est qu'un idiot et une brute sans âme. Je le déteste.

Elle fit volte-face pour jeter un dernier éclair au dos du garde puis reprit.

Je suis fatiguée, et il fera bientôt nuit. Je n'ai plus envie de sortir. On ira voir les animaux un autre jour, peut être.

Puis, sans attendre de réponse, elle traîna les pieds en direction de sa chambre. Ah ! que la vie était injuste !

Beulbeul vit s'éloigner la jeune enfant, non sans se demander encore une fois ce qui se mijotait dans la petite tête de la fillette.

Elle proposerait à Clémence d'aller voir les animaux, mais elle se promettait en elle même de surveiller la jeune fille de plus prés. Elle ne voudrait pas que cette dernière sorte du domaine, et qu'il lui arrive malheur.

Je vous souhaite une bonne nuit, Mademoiselle Clémence.

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